Puis j’ai grandi … je me suis mis à construire des cabanes et à partir à la chasse dans les bois avec ma fronde et mon arc à flèche en bois de noyer. C’est toi qui m’a fait découvrir qu’en se levant à l’aurore on avait beaucoup plus de chances de voir du gibier. Parfois tu t’es même levé à 5h du matin pour qu’on aille ensemble en forêt, et moi je préférais rester dans mon lit. C’est toi qui m’a donné cette passion pour les cabanes, lorsqu’après avoir regardé un film de trappeur (David Crockett) tu m’as construit une cabane du même style avec l’aide de Jean-Charles, mon frère ainé. Tu m’as aussi apris à voir quels étaient les arbres morts qu’on pouvait couper pour construire notre cabane. Tu nous expliquait comment manier la hache et la scie pour pas qu’on se blesse (on n’avait que 12 ans). Tu nous as d’ailleurs plusieurs fois surpris avec tes outils dans le fond du jardin en train de couper des plantes qui étaient sensées rester debout.
A l’âge de rentrer au collège tu m’as poussé vers ma prise d’indépendance. J’étais en internat et je devais me débrouiller. Vous n’étiez plus là pour me dire ce que je devais faire. Tu m’as fait confiance et tu m’as encouragé. Tu m’as inscrit dans un mouvement de jeunesse qui faisait de la montagne car tu voulais que je puisse découvrir la haute montagne comme tu l’avais découverte dans ta jeunesse. Au début tu avais un peu peur, tu m’as demandé de te prouver que j’étais compétent avant de me laisser partir seul faire de l’escalade avec mes copains. Je me souviens encore des démonstrations que je t’ai faites dans la cage d’escalier de la maison. Tu as toujours cru en moi et tu m’as fait confiance. Cette confiance vallait beaucoup à mes yeux et pour rien au monde je ne l’aurait trahi… c’est donc souvent grâce à ta confiance que tu m’as empêché de faire des bêtises.
C’est aussi à cet âge là que je me suis mis à l’informatique. Tu avais acheté ton premier ordinateur avec un windows 95. J’avais entendu parler de Linux. On m’avait expliqué que c’était un truc de hacker… j’avais donc à peine 13 ans quand j’ai acheté linux avec mon argent de poche (à l’époque c’était un peu compliqué de télécharger 6 CD d’installation avec un modem 32 K) pour l’installer avec toi sur ton ordinateur. On a apris beaucoup de choses ensemble. Tu as d’ailleurs eu beaucoup de patience pour réparer les erreurs que je faisais sur ton ordi … puis sur mon ordi. On a beaucoup discuté de la philosophie de linux et des logiciels libres que tu trouvais bonne.
Pour toi qui avait vécu une enfance à bricoler des radios pendant la guerre, tu retrouvais cette joie que j’avais de bricoler des ordinateurs. Tu as eu le courage de te remettre à jour sans cesse. Pas seulement d’un point de vue technologique, mais aussi dans ton éducation. Tu as pris le temps de rencontrer les parents de mes amis pour ne pas être trop vieux jeu dans ton éducation et t’adapter aux méthodes plus récentes. Même si tu étais de l’ancienne génération, avant mai 68, tu as du tenir face à ma crise d’adolescance qui était fort différente de celle de mes ainés une dizaines d’années plus tôt.
Une fois que je suis rentré à l’université pour me lancer dans les études d’ingénieur tu ne m’as plus fait de reproches. Pour toi, il était temps que je prenne mon envol et que je devienne adulte en apprenant par mes erreurs. Tu avais 100% confiance, mais en plus tu étais fier de moi. J’étais ton 4ième fils, le 4ième ingénieur de la famille. Même si je n’excellait pas en chimie (j’ai essayé d’expliquer à mes professeurs que ça n’était pas héréditaire), tu as toujours cru en moi. Je me souviens aussi de ta disponibilité. Quoiqu’il arrive, tu étais toujours là quand j’avais besoin de quelque chose. Tu n’étais plus seulement mon père, tu étais aussi mon ami fidèle sur qui je pouvais compter. Je t’ai vite dépassé en informatique et tu te faisais petit face à moi en faisant mes éloges aux gens que tu rencontrais.
Quand j’ai ouvert ce blog, tu étais mon premier lecteur. Tu étais acroc, à tel point que j’ai hésité à faire un deuxième blog pour pouvoir y écrire des choses que tu ne lirais pas… j’étais gêné que tu m’admires tant. Ceci dit, ça nous a permis de partager sur beaucoup de sujets, lancés sur ce blog, et poursuivi un dimanche midi à table en famille.
Aujourd’hui c’est à toi que je veux dédier cet article. Même si j’ai pu te dire au revoir ces derniers jours, il me faudra encore un peu de temps pour bien accepter ton départ pour l’au delà. Merci de m’avoir transmis tes valeurs et tes passions. Merci d’avoir été un père génial, malgré ton âge. Je n’ai peut-être pas connu mes grands-parents, mais j’ai eu la chance d’avoir un père qui a été les deux à la fois.
Merci ! Et bon voyage